Contes africains > deux contes du Burkina Faso

Les contes font partie du patrimoine culturel du Burkina Faso

Un mythe des origines :

> le mythe des épousailles chez les Nuna

Autrefois les hommes et les femmes ne cohabitaient pas ensemble ; ils ne se rencontraient pas. Quand les femmes surprenaient un homme chez elles, elles le tuaient. Dieu avait établi deux lieux : les femmes habitaient seules en leur lieu, et les hommes, seuls dans le leur. 

Un homme, malgré ses efforts, ne parvint pas à se contraindre, et imagina un stratagème pour rejoindre les femmes. Il chercha du miel dont il remplit un petit canari. La nuit venue, il alla au lieu des femmes, frappa à la porte. Une femme demanda : “ Qui c’est ? ”. Il dit qui il était. La femme demanda à nouveau : “ Que cherches-tu ? Que veux-tu ? ”. L’homme répondit : “ Je vous apporte quelque chose ! ” Les femmes reprirent : “ Qu’est-ce que c’est ? ” Il leur raconta qu’il avait du jus de verge d’homme, qui est fort succulent. Il en donna aux femmes. Une femme trempa le doigt dans le miel et en goûta. Elle vit que c’était très bon ; elle en donna aux autres femmes. Toutes en goûtèrent et virent que la chose était très bonne. Elles en distribuèrent les unes aux autres, et consommèrent tout. Elles se lavèrent les mains, s’essuyèrent la bouche et rendirent à l’homme son canari. Ce dernier retourna chez lui. Il attendit quelque temps, puis ramena encore du miel. Comme les femmes en avaient goûté et savouré auparavant, elles ne le chassèrent pas ; elles prirent le miel et le consommèrent.  

  Lorsqu’elles eurent fini de manger, elles posèrent la question à l’homme : “ Si déjà le jus de verge est si bon, qu’est-ce que ce serait si c’était la verge elle-même ? ” L’homme leur révéla que si elles obtenaient la verge elle-même, elles verraient alors qu’elle est plus succulente que son jus. Les femmes le prirent chez elles dans leur chambre. L’homme s’arrangea pour engrosser l’une d’elles. Dieu vit que l’une des femmes était enceinte, et il voulut savoir qui de l’homme ou de la femme était allé chez l’autre. Il répandit dans l’espace des deux lieux d’habitation de la cendre. Au matin, Dieu vit que c’était les pas de l’homme qui se dirigeaient vers le lieu des femmes et s’en retournaient de chez les femmes pour aller rejoindre les hommes.

  Alors Dieu dit : “ Ainsi, puisque c'est comme ça, désormais c’est l’homme qui ira le premier chez la femme pour causer avec elle avant de la ramener chez lui. ” 

  C’est pour cela que la femme ne parle pas la première avec l’homme et que c’est l’homme qui cherche la femme. De plus, c’est avec du miel qu’on fait la demande d’une femme. Les épousailles, c’est du miel !

 

     Commentaires de Nicolas Bado à partir de ce conte : ” Comme on le sait, le mythe renvoie au vécu d’une culture et peut être interprété diversement. Dans le mythe Nord Nuna on affirme d’emblée l’égalité des sexes ; il n’y a pas un sexe qui soit à l’origine de l’autre ; mais tous les deux sont créés dans une entière autonomie. Il s’agit du vécu des Nuna qui est ici représenté. Tu es Ba-dolo, je suis Kan-dolo : même valeur dans la référence au kwala dolo, dans la différence des sexes.

     Les juristes burkinabè à l’envers de l’administration coloniale ont stupidement unifié les noms des Nord Nuna en Ba. : tout le monde est mâle : les filles comme les garçons ! On voit ainsi comment des intellectuels psychiquement anémiés refusent l’altérité d’une culture reconnue par des étrangers : “ Vous devez être comme tout le monde ! ” Lourde menace ! La contradiction et l’altérité sont acceptées dans la culture Nord Nuna en toute lucidité et courage de la vérité. Une fois posées, il reste à les concilier.  Ce que souligne le mythe des épousailles, c’est l’égalité des sexes, le refus d’aliéner la femme. Porter le nom de son mari ne consonne nullement avec la culture Nun. La femme aspire à rester ce qu’elle est, la femme d’un kwala originel, celui de son père, même si par alliance elle adopte en seconde phase et secondairement l’existence d’un autre kwala.

 L’enfant qui naît d’elle est certes d’abord l’enfant du kwala de son mari ; mais il est aussi l’enfant de la femme et son frère est considéré comme un vrai père qui ne peut refuser de l'accueillir ; l’enfant peut donc aller vivre et s’établir chez ses oncles maternels, et hériter au nom de sa mère. C’est ainsi que dans les villages Nuna on voit partout des neko-bya installés en nombre dans la famille de leurs mamans. Ils sont considérés comme des parents, pas des concurrents. La tendance est de rassembler les neko-bya et les da-bya ; très peu de cérémonies se vivent sans qu’il y ait le rassemblement et la concertation des deux groupes. 

   Dans le mythe que nous analysons, la rencontre sexuelle se présente comme une infraction à un interdit. L’attrait sexuel est contredit par l’interdit formulé par Dieu. L’homme n’en dispose pas ; il est dans la dépendance de Dieu. La sexualité est donc vue comme une puissance dangereuse. Pour les Nuna elle est une force sauvage que l’homme utilise momentanément pour procréer ; mais elle ne fait pas la vie de l’homme. Aussi la femme adulte se refuse très rapidement à ces relations qu’elle regarde comme infantiles, œuvres de fougue de jeunesse. Rien à voir avec l’exaltation sans limite de la relation sexuelle comme source du bonheur humain. La démesure accompagne la sexualité, et qui ne sait pas la réguler en devient l’esclave. 

   C’est donc l’homme (et non la femme comme dans le mythe de la Genèse) qui déroge à l’interdit. C’est lui qui est faible et cède à la pulsion. On voit que selon les cultures il se peut que ce soit l’homme qui soit plus entreprenant ou que ce soit la femme, même si les modes d’approche peuvent diverger. 

   La rencontre a finalement lieu…même à l’épreuve de la mort. L’humour ici s’entoure d’éthique : dans la rencontre, ce ne sera pas la bête mâle qui s’empare de la femelle. L’humanité surgit : la parole intervient, le dialogue s’instaure qui déclare la rencontre homme-femme, rencontre de personnes qui s’unissent fondamentalement par ce qui fait leur être propre : la parole. (La Genèse est terre à terre, comme biologique : elle créa le mâle et la femelle. Adam monologue sur la beauté physique de sa femme, chair de sa chair. Dans le mythe Nuna, il les créa personne-femme et personne-homme.)

      Ici on ne fait pas intervenir un esprit malin qui atténuerait la responsabilité de l’homme. L’homme dans sa totale liberté assume sa pleine responsabilité et enfreint l’interdit en toute lucidité.

Et pour cela il pervertit la parole ; le dabar qui dit l’événement, il s’en sert pour mentir. Au lieu de la vérité qui reconnaît l’autre, il instaure le mensonge qui réduit l’autre à un moyen de plaisir. La sexualité humaine est ainsi souvent le lieu du mensonge. Dans sa démesure elle pervertit non seulement le corps, mais l’homme tout entier, jusque dans sa relation avec l’autre homme.

     La richesse du mythe Nuna est grande en ce qu’il rattache la sexualité à toute la culture de l’homme : la sexualité est érigée en système : sexe-parole-nourriture-relation à l’autre. 

     Dans la relation sexuelle qui a lieu dans le conte, on notera le point suivant : l’homme n’engrosse pas la quantité de femmes parmi lesquelles il vit. Mais il en choisit une seule : un clin d’œil malicieux vers la polygamie qui peut même dans une culture non-chrétienne paraître déraisonnable.

   Elle est d’emblée hors cause dans le mythe Nuna. Les Nuna s’y soumettent pour protéger la femme du frère défunt, pour avoir une nombreuse descendance, jamais pour avoir plus de plaisir

   Le Dieu des Nuna ne châtie pas, il ne punit pas ; il ne fait pas de mal à l’homme pour ce qu’il a fait de mauvais ; il ne condamne pas à la mort. Il aménage la dérogation à l’interdit qui conduit à la mort, en une situation de vie : Que l’homme s’unisse à la femme, mais dans l’ordre ! L’homme ira donc causer avec la femme, la reconnaître comme son complément ; puis il la conduira chez lui pour lui offrir le miel de la relation sexuelle et de la vie commune. Un très beau mythe des origines et un très beau conte pour le décrire !

 

> La hyène et le coq

                                                                                              Conteur : Mamadou Lamine Sanogo

    Le jour où on a demandé à la hyène de répondre à cette devinette, elle a répondu que ce qui est nécessaire à la vie, c'est la viande. La hyène qui ne se nourrissait que de viande finit par goûter un jour de la volaille. Et depuis ce jour, elle prit la ferme décision de ne plus manger autre chose que de la volaille. Tous ses congénères la conseillèrent, mais tous les efforts pour la ramener à la raison se soldèrent par des échecs. Ainsi, la hyène tua beaucoup d'oiseaux de la brousse. Elle finit par faire disparaître entièrement cette espèce d'animaux. 

     Un jour, elle parcourut toute la brousse et ne trouva aucun oiseau. Elle se promena toute la journée mais ne vit rien du tout ; elle se promena même la nuit, mais toujours rien. Fatiguée, elle se réfugia sous l'ombre d'un grand arbre. Soudain, qu'entendit-elle dans les feuillages au dessus de sa tête : des cris de chèvre ! Elle s'étonna en ces termes : “ Dieu tout puissant, qui peut faire monter une chèvre sur un si grand arbre ?” Se rappelant sa promesse de ne manger que de la volaille, elle se détourna de cette réflexion et se mit à dormir. Quelques instants après, les mêmes cris reprirent de plus belle. Elle s'interrogea de nouveau : ” Je sais que les chèvres grimpent aux arbres, mais dans des arbres de cette taille, il faut dire qu'il y a de quoi s'interroger ! D'où peut venir cette chèvre mystérieuse ? “ Les cris reprennent une troisième fois et perturbèrent la sieste de la hyène. Elle décida alors d'en savoir d'avantage.

    Elle jura qu'elle mangera cet animal, qu'il fut un fauve ou une volaille : “ J'avais juré de ne jamais manger autre chose que de la volaille, mais puisque je suis seule ici et sans témoins, je vais manger cette chèvre et personne n'en saura rien. “ Lorsqu'elle leva la tête, que vit-elle dans l'arbre ? Un gros coq aux ergots très longs. Elle s'étonna en se disant : ” Mais n'est-ce pas cet oiseau qui faisait des cris de chèvre ? D'où vient-il ? ” Elle s'adressa alors au coq en ces termes : - Eh ! Toi, volaille, viens ici que je te mange. - Je ne descends pas aujourd'hui, je ne descends pas demain. Elle reprit encore : - J'ai fini de manger tous tes parents. 

- Je ne descends pas aujourd'hui, je ne descends pas demain. - J'ai fini de manger tous tes frères et sœurs. - Je ne descends pas aujourd'hui, je ne descends pas demain. - J'ai fini de manger tous tes amis.  - Je ne descends pas aujourd'hui, je ne descends pas demain. - J'ai fini de manger tout tes voisins, tout tes congénères. - Je ne descends pas aujourd'hui, je ne descends pas demain. 

     Devant cette attitude du coq, la hyène piqua une vive colère et lança : ” Je ne te comprends pas : je te dis que j'ai tout mangé chez toi. J'ai même mangé tout ton espoir. “ Dès qu'elle eut lancé cette phrase, le coq sauta à terre et vint se présenter devant la hyène en lui tenant ce langage : “ Eh bien..! Tu as gagné, il ne te reste qu'à me manger maintenant. ” Cette attitude troubla tant la hyène qu'elle domina sa faim et demanda au coq le pourquoi de cette décision subite. 

     Le coq lui dit : ” Toi la hyène, certains n'ont pas de père, et pourtant ils vivent, n'est-ce pas. D'aucuns n'ont pas de mère, ils vivent bien aussi. Il y en a même qui n'ont ni parents, ni amis, mais ils s'en sortent. Mais quand on n'a plus d'espoir, il n'y a pas d'issue. Puisque tu as mangé tout mon espoir, il ne me reste plus rien. Tu peux donc me manger moi aussi. “ 

La hyène réfléchit : elle qui se promène dans cette brousse en toutes saisons, elle n'a jamais pensé fonder son espoir sur quelqu'un ou quelque chose. Elle décida alors de faire du coq son espoir. Et c'est depuis ce jour qu'à l'approche du jour, le coq avertit la hyène. Et c'est depuis ce jour que la hyène ne mange jamais de coq.

 

Qu'est-ce qui est vraiment nécessaire à la vie ? Quand on pose cette question, ceux qui ne sont pas intelligents pensent tout de suite à la richesse. Or il n'en est rien. Vous savez, certains n'ont aucune richesse, mais ils vivent. D'aucuns n'ont ni père ni mère, ni même frère et sœur, mais ils vivent normalement. Même ceux qui n'ont pas d'enfant arrivent à tenir le coup. Mais ce qui est nécessaire pour survivre, c'est l'espoir